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Aspect Multi Échelle Des Communautés Langagières Dynamiques

Fleeting

À mon échelle, j’ai mes mots et ma façon de parler. je suis le niveau zéro de la communauté langagière.

Quand je discute avec quelqu’un, nous cherchons un code commun pour nous comprendre. On a chacun ses subtilités, qu’on essaye d’outrepasser pour se comprendre (voir Gricean Pragmatics).

Pour chaque groupe de communication qui se forme, un ensemble de codes se mettent en place. Il y a autant de micro communautés langagières que de groupes de communication qui se forment et autant de détruites que de groupes qui se défont.

À l’échelle d’une étendues géographique, une institution tente de capturer les règles qui semblent émerger des individus et des groupes. Ainsi, des règles globales se mettent en place afin de permettre que tout le monde trouve un noyau commun pour discuter. Ces règles sont ensuite enseignées dans des écoles.

Pour résumer, on a trois niveaux de communautés langagières :

  • les individus,
  • les groupes,
  • les institutions, capturant l’émergence issue des groupes et individus,

Ces trois niveaux interagissent énormément et s’influencent mutuellement. Par exemple :

  • les individus vont mettre à jour leur façon de parler en fonction des influences des groupes,
  • les institutions vont codifier les usages des groupes et des individus,
  • les institutions vont enseigner aux individus les nouveaux usages découverts,

En d’autres termes, les règles des groupes émergent des règles des individus qui les composent et les règles des institutions émergent des règles des individus et des groupes qui les composent (voir phénomène émergent).

Ces communautés langagières sont donc très dynamiques et il n’aurait pas de sens de parler de leurs règles dans l’absolu.

Par exemple, je pense que donner une règle comme « en français, on dit X ou Y » est mal formulée (red herring). Je pense qu’on veut plutôt dire que « pour moi (dans ma communauté), on dit X ou Y ». Utiliser l’institution comme argument est un sophisme d’autorité.

à propos du contrôle de l’institution

Je pense qu’il est bénéfique qu’une institution tente de faire l’état des règles qui semblent émerger de l’ensemble des groupes et individus. Je pense aussi bénéfique que l’institution tente de prescrire des usages qui tendent à maintenir une cohérence dans les usages. Je pense enfin qu’il est normal de mettre à jour l’enseignement avec ces nouvelles règles.

Aussi, je ne crois pas raisonnable de penser que l’institution imagine pouvoir forcer les individus et les groupes à utiliser ses prescriptions. Je pense qu’il s’agit d’une tentative de formalisation de l’état de la communauté langagière dans son ensemble. Charge à chacun de décider comment faire évoluer sa propre communauté langagière en conséquence. Les interactions entre les individus/groupes permettra l’émergence de nouveaux usages, eux mêmes capturés par l’institution etc.

Il semble que les suggestions de l’institution soient considérées comme négatives en générales. Je pense que les prescriptions pourraient être considérées avec plus de charité. De plus, s’en insurger est pour moi un red herring. Comme formulé plus haut, je pense vraiment peu raisonnable d’attribuer à l’institution un rôle de force autoritaire. Je pense qu’il s’agit d’un homme de paille. Enfin, je trouve incohérent de s’insurger contre des prescriptions en apparence absurdes quand on accepte communément des usages ordinaires bien plus absurdes (voir autorité épistémique et choix du langage, usage ordinaire des mots et l’exemple le plus marquant manchot vs pingouin). Pour moi, il s’agit d’un exemple de biais de status quo. On préfère ne pas changer nos habitudes non pas parce que les changements sont absurdes, mais parce qu’il est plus coûteux cognitivement de changer. C’est une bonne raison en soit, mais elle semble être refoulée.

Par exemple, je ne vois pas de raison objective de refuser d’écrire ognon au lieu de oignon. Bien entendu, mon système 1 me crie que ognon n’est pas « correct ». Mais comme à chaque fois que mon système 1 me crie quelque chose, je dois considérer basculer en système 2, éviter la tentation confortable de rationalisation et considérer objectivement ma réaction. Cet exemple est d’autant plus frappant que le remplacement d’« ign » par « in » semble avoir déjà eu lieu dans plein de mots de l’usage courant (cigoigne -> cigogne, montaigne -> montagne) sur lesquels nos intuitions ne nous semblent pas qu’il leur manque « ign ». Le fait qu’on trouve « correct » montagne et oignon, malgré l’apparente incohérente de cette intuition, me semble encore une fois une marque de biais de status quo.

Cependant, il me semble qu’il est tout à fait admis que nous sommes libres de ne pas appliquer cette prescription à l’échelle de nos communautés langagières et continuer à orthographier oignon. L’institution capturera cet usage, car c’est son rôle.

temps perdu à chipoter sur l’orthographe du mot ognon

J’entends parfois dire que l’académie française ne devrait pas perdre de temps à chipoter sur des détails comme oignon. J’ai l’impression qu’il s’agit d’une erreur de raisonnement de type inversion de la charge de la preuve.

En effet, quand on trouve une faute de frappe dans un texte « je suiis allé ». On va simplement corriger la faute. On ne va pas considérer que parce que plein de gens ont recopié le texte avec la faute, qu’une forme de droit d’usage nous interdit de la corriger.

Or, c’est exactement ce qu’il semble se passer. Au lieu de considérer sobrement la correction de l’erreur, les réactions y semblent assez hostiles. Je pense que c’est cette hostilité qui implique que des gens passent du temps à en parler, pas la correction elle même.

à propos de la perte liée aux changement

Il est classique de critiquer ces changements avec des arguments liés à notre richesse intellectuelle, notre patrimoine linguistique, notre capacité à réfléchir etc, je pense qu’il s’agit aussi de biais cognitifs à l’œuvre. En effet, pour chacun de ces arguments, on peut assez facilement trouver des exemples qui montrent qu’on n’applique pas ces grands principes en premier lieu1. Ainsi, la seul raison qu’on peut donner à leur évocation est une tentative de rationalisation.

De façon générale, on semble toujours considérer un changement comme une perte de quelque chose et il est connu que cela nous embête. Par exemple, il semble que l’écriture, l’imprimerie, l’informatique, internet ont causé bien plus de changement dans nos habitudes et ont causé le même genre de réaction. Or, par exemple, plus personne ne semble considérer l’écriture comme quelque chose de négatif parce qu’il ne nous incite plus à travailler notre mémoire.

Je pense sincèrement qu’il faut questionner nos propres biais avant de trancher.


  1. nous ne connaissons généralement que très peu l’étymologie des mots, même quand elle semble évidente (voir xylophone vs metallophone vs glockenspiel). ↩︎